Il y a t-il des liens entre pratiques de gouvernance et pérennité des organisations ? Pour tenter de répondre à ces questions, peu étudiées jusqu’alors par la recherche, nous avons étudié trois ordres catholiques vieux de plusieurs siècles, qui sont parmi les plus anciennes organisations encore existantes : bénédictin, dominicain et jésuite. Ils offrent une occasion unique de tester des hypothèses sur la capacité des systèmes de gouvernance à influencer la survie à long terme.
Les travaux ont permis d’identifier dans ces ordres des mécanismes spécifiques de gouvernance qui influencent la liberté d’action des supérieurs. Ce faisant, ils évitent des abus de pouvoir, orientent la prise de décision vers les missions particulières de chaque ordre, et favorisent ainsi la cohésion durable des membres de l’organisation autour des missions respectives des ordres concernés.
L’un des premiers enseignements de ces études est de constater qu’en matière de gouvernance, il n’y a pas de « one best way » comme un prêt à porter à taille unique. En fait, les bénédictins, les dominicains et les jésuites se caractérisent par des systèmes de gouvernance très différents, mais tous ont permis à leurs organisations de perdurer pendant des siècles.
Chez les bénédictins, un abbé aimant et juste
Chez les bénédictins par exemple, tous les moines ainsi que les abbés s’engagent sur un système de valeurs communes transmis de génération en génération. La règle de Saint-Benoît contient nombre de règles de bonne conduite du père abbé, qui est le dirigeant ultime d’une abbaye. Doté d’un pouvoir de décision relativement fort et d’un mandat long, la socialisation des moines selon la règle agit comme un contre-pouvoir, l’abbé étant appelé à se comporter en toute circonstance tel un père aimant et juste. L’origine du mot « abbé » signifie d’ailleurs « père ».
Autre point important : la grande importance de la liberté d’expression dans le cadre de la tenue régulière de chapitres, car les moines ne quittent un monastère particulier qu’en de rares cas. N’ayant pas la possibilité de « voter avec les pieds » en cas de désaccord avec les orientations générales du monastère, il est important qu’ils puissent « donner de la voix » au sein du principal organe de prise de décision stratégique, le Chapitre (d’où l’expression « avoir voix au chapitre »).
Valeurs de la règle et chapitres récurrents sont donc des mécanismes importants pour le maintien durable de la coalition organisationnelle que représente un monastère bénédictin.
Les dominicains : une gouvernance du savoir
Chez les dominicains, la prédication de la foi dans un monde citadin est au centre de la mission organisationnelle. Afin d’accomplir cette mission de façon efficace et durable, la connaissance (pas seulement de la foi, mais aussi du monde) est au cœur du fonctionnement de l’organisation. Dans ce but, la gouvernance dominicaine favorise les études et autres activités intellectuelles de ses membres, comme en témoignent les constitutions de l’ordre.
L’ouverture des frères prêcheurs vers le reste de la société les a par exemple incités à prendre une part active dans l’essor des premières grandes universités, à l’instar d’un Albert le Grand ou d’un Thomas d’Aquin, qui furent les grands penseurs de leur époque, philosophes autant que théologiens. L’organisation des dominicains se caractérise également par un principe démocratique fort dans la prise de décision.
Une des particularités de la gouvernance d’un couvent dominicain est que les supérieurs, appelés « prieurs » sont élus pour des mandats relativement courts (3 ans dans le cadre d’un couvent particulier) et leur mandat n’est renouvelable qu’une seule fois. Les charges tournent donc régulièrement. Par ailleurs, il y a beaucoup de mobilité des frères entre les différents couvents. Cela favorise la création et la circulation des connaissances sur le long terme.
Les jésuites : une gouvernance de la liberté intérieure
Enfin, ce qui distingue particulièrement la gouvernance des jésuites, c’est la tension entre une très forte obéissance au Pape ainsi qu’une élection à vie du supérieur général (la tenue de chapitres est très rare) et une grande liberté de conscience à l’intérieur de l’organisation, qui favorise l’approche individuelle des mystères de la foi.
La socialisation par les exercices spirituels d’Ignace de Loyola, fondateur et premier supérieur général de la Compagnie de Jésus, joue ici un rôle central. Elle permet de conjuguer une forte concentration du pouvoir du gouvernement central de l’ordre avec une grande liberté individuelle au niveau local. Les jésuites s’efforcent de considérer les problèmes contemporains, et donc d’adapter les solutions aux circonstances particulières.
Même s’il n’existe pas de recette « clé en main » pour assurer la pérennité des organisations, l’étude des ordres catholiques indique ainsi quelques pistes (valeurs organisationnelles fortes, liberté d’expression dans des organes délibératifs, connaissance, fonctionnement démocratique, liberté de conscience à l’intérieur de l’organisation).
Certes, les objectifs de profit des entreprises limitent les parallèles possibles, mais les principes des bénédictins, dominicains ou jésuites, peuvent se révéler a minima précieux pour des organisations à but non lucratif. Par ailleurs, les codes de gouvernance des entreprises se présentent, sauf exception, sous une forme très monolithique. Or, les scandales et abus de certains dirigeants révélés de façon récurrente dans la presse montrent qu’il y a des marges de progression et que des modèles alternatifs peuvent sans doute permettre d’enrichir la réflexion.
Cette contribution est tirée de l’article de recherche « Are Corporate Governance Theories Relevant to Account for the History and Long-Term Survival of Old Catholic Orders ? ».
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